Victoire la Rouge

€ 2,99

Les Jameau, fermiers au Grand-Change, eurent besoin d’une petite servante pour garder les bêtes. Ils en demandèrent une à l’hospice de la ville, où l’on élève les enfants trouvés.

Renseignements pris par la supérieure, les Jameau étaient d’honnêtes gens. On leur confia, moyennant vingt écus par an, une petite malheureuse inscrite, voilà treize ans et demi, sur les registres de l’hospice sous les noms prétentieux de Marie-Eugénie-Victoire. La Mère supérieure se débarrassait ainsi d’une non-valeur, d’une sorte de propre à rien, qui n’avait pu apprendre à lire, ni ajuster deux points réguliers l’un près de l’autre sur les chemises que l’on confectionnait pour la clientèle et le commerce dans les environs du couvent.

Victoire n’était point idiote, cependant, mais lourde, comme on disait.

— Le grand air la dégourdira, déclara la Révérende Mère.

— Bien certainement, répondit la femme Jameau, interloquée par la cornette de la religieuse au point de n’oser refuser, comme elle en avait bonne envie, la laide petite fille qu’on lui présentait.

— En voilà une bête, pensait la fermière en poussant devant elle le paquet de chair qu’on venait de lui livrer.

Et elle examinait cette drôlesse mal équarrie, courte, large, crevant de graisse, avec de la poitrine plein son corsage et des hanches plein ses jupes. Cela sautait à chaque pas lourd.

Elle lui demanda d’un ton bourru :

— Quel âge as-tu, petite ?

Celle-ci se tourna, leva les épaules et répondit :

— Je ne sais pas.

Son visage était grêlé comme une écumoire ; ses petits yeux bleus, très-doux, clignotaient, bordés de rouge. Il lui passait sur le front de grosses mèches courtes de beaux cheveux fauves et drus, que le bonnet ne pouvait retenir.

Jameau avait mené des porcs pour les vendre. Quand ils furent vendus, on retourna au Grand-Change. Le fermier et sa femme sur la banquette de la carriole, la petite fille derrière, dans le parc où les porcs s’étaient roulés dans leur fange. Il n’y avait point de siége ; elle s’accroupit, ses jupes dans le fumier. Le nez en l’air, riant des cahots qui ballottaient sa chair, elle ouvrait les narines et trouvait que la campagne, « ça sentait bon ».

----------------------------------

Mathilde Marie Georgina Élisabeth de Peyrebrune Judicis, dite George (ou Georges) de Peyrebrune, née à Pierrebrune, hameau de Sainte-Orse (Dordogne), le 18 avril 1841 et morte à Paris le 16 novembre 1917, est une femme de lettres française, auteure de romans populaires.

Venue à Paris après la guerre de 1870, elle contribua à plusieurs revues féminines et publia un grand nombre de romans qui connurent un succès populaire. Deux de ses romans furent couronnés par l'Académie française (en 1897 Vers l’amour et en 1900 Au pied du mât). Elle fit partie du premier jury du prix Fémina en 1905.

Les Jameau, fermiers au Grand-Change, eurent besoin d’une petite servante pour garder les bêtes. Ils en demandèrent une à l’hospice de la ville, où l’on élève les enfants trouvés.

Renseignements pris par la supérieure, les Jameau étaient d’honnêtes gens. On leur confia, moyennant vingt écus par an, une petite malheureuse inscrite, voilà treize ans et demi, sur les registres de l’hospice sous les noms prétentieux de Marie-Eugénie-Victoire. La Mère supérieure se débarrassait ainsi d’une non-valeur, d’une sorte de propre à rien, qui n’avait pu apprendre à lire, ni ajuster deux points réguliers l’un près de l’autre sur les chemises que l’on confectionnait pour la clientèle et le commerce dans les environs du couvent.

Victoire n’était point idiote, cependant, mais lourde, comme on disait.

— Le grand air la dégourdira, déclara la Révérende Mère.

— Bien certainement, répondit la femme Jameau, interloquée par la cornette de la religieuse au point de n’oser refuser, comme elle en avait bonne envie, la laide petite fille qu’on lui présentait.

— En voilà une bête, pensait la fermière en poussant devant elle le paquet de chair qu’on venait de lui livrer.

Et elle examinait cette drôlesse mal équarrie, courte, large, crevant de graisse, avec de la poitrine plein son corsage et des hanches plein ses jupes. Cela sautait à chaque pas lourd.

Elle lui demanda d’un ton bourru :

— Quel âge as-tu, petite ?

Celle-ci se tourna, leva les épaules et répondit :

— Je ne sais pas.

Son visage était grêlé comme une écumoire ; ses petits yeux bleus, très-doux, clignotaient, bordés de rouge. Il lui passait sur le front de grosses mèches courtes de beaux cheveux fauves et drus, que le bonnet ne pouvait retenir.

Jameau avait mené des porcs pour les vendre. Quand ils furent vendus, on retourna au Grand-Change. Le fermier et sa femme sur la banquette de la carriole, la petite fille derrière, dans le parc où les porcs s’étaient roulés dans leur fange. Il n’y avait point de siége ; elle s’accroupit, ses jupes dans le fumier. Le nez en l’air, riant des cahots qui ballottaient sa chair, elle ouvrait les narines et trouvait que la campagne, « ça sentait bon ».

----------------------------------

Mathilde Marie Georgina Élisabeth de Peyrebrune Judicis, dite George (ou Georges) de Peyrebrune, née à Pierrebrune, hameau de Sainte-Orse (Dordogne), le 18 avril 1841 et morte à Paris le 16 novembre 1917, est une femme de lettres française, auteure de romans populaires.

Venue à Paris après la guerre de 1870, elle contribua à plusieurs revues féminines et publia un grand nombre de romans qui connurent un succès populaire. Deux de ses romans furent couronnés par l'Académie française (en 1897 Vers l’amour et en 1900 Au pied du mât). Elle fit partie du premier jury du prix Fémina en 1905.

PrijsVerzendkostenTotaal
€ 2,99
€ 0,00
€ 2,99